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Titel
Citadins au sommet. L’alpinisme genevois (1865–1970): un siècle d’histoire culturelle et sportive


Autor(en)
Le Comte, Élodie
Reihe
Collection «Genève – Événements», 23
Erschienen
Genève 2008: Slatkine Reprints
Anzahl Seiten
339 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Hélène Zumstein

Issu d’un mémoire de licence présenté à l’Université de Genève en 2005, le livre d’Élodie Le Comte, chercheuse pour le Fonds National Suisse, explore le passé – peu connu par les historiens – de l’alpinisme genevois aux XIXe et XXe siècles, et en dévoile les principaux enjeux dans un volume de près de trois cent quarante pages. Publié dans une collection particulièrement hétéroclite, qui a notamment recueilli le témoignage de l’ancienne conseillère d’Etat libérale Micheline Spoerri ou les confessions de l’avocat genevois Jacques Barillon, l’ouvrage s’adresse à un public large et varié qui dépasse le cénacle étroit des historiens académiques, mais dont les thèses et propos méritent pourtant que ces derniers y prêtent attention.

Le texte Citadins au sommet. L’alpinisme genevois (1865–1970): un siècle d’histoire culturelle et sportive éclaire en effet la centaine de clubs d’alpinistes qui parsèment le territoire genevois, mais se concentre en priorité sur l’histoire de trois sociétés: la section genevoise du Club Alpin Suisse (CAS), qui existe dès 1865, l’association de l’Androsace, fondée en 1920, et le Groupe Alpin Ouvrier (GAO), créé en 1945. Le premier club, «incontournable» puisqu’étant le «référent officiel des questions touchant à la montagne» (p. 13), justifie que l’historienne y ait porté son attention. Les suivants, choisis parmi la multitude d’autres sociétés, ont été étudiés en vertu de leur élitisme technique: représentant en effet le «pôle de haut niveau de l’alpinisme genevois» (p. 14), l’Androsace et le GAO ont concentré, autour de leurs usages, de nouvelles manières de faire de la montagne qui se devaient d’être retracées ici. Construite sur les archives produites par les clubs, soit sur des sources administratives comprenant procès-verbaux, rapports et communications officielles, mais aussi sur des articles, périodiques (en particulier L’Écho des Alpes, organe des sections romandes du CAS) et notices historiques rédigées par les membres du club eux-mêmes, l’histoire que propose Élodie Le Comte correspond ainsi à «une approche historiographique tout à fait classique» (p. 239). Elle s’érige également sur les «sources vivantes» que sont les témoignages des alpinistes encore vivants, membres jadis de l’Androsace et du GAO dont la documentation, peu nombreuse, fait cruellement défaut et légitime, selon l’historienne, le recours à l’histoire orale.

A la suite du récent ouvrage de l’historien français Olivier Hoibian (Les alpinistes en France, 1870–1950. Une histoire culturelle, Paris: L’Harmattan, 2000), Élodie Le Comte inscrit ici son objet dans le courant de l’histoire culturelle. Elle rédige à cet effet un plaidoyer qui prend place immédiatement après l’introduction, et considère de fait que l’alpinisme est une «pratique» (p. 15) ou «un ensemble cohérent de pratiques, dont l’espace de référence est la ‘haute montagne’» (p. 226). De ces usages en sont déchiffrées les transformations qui relèvent d’une manière «d’envisager la montagne» (p. 226) et, plus largement, des «tensions idéologiques qui traversent et modèlent la société» (p. 235). Le but de l’ouvrage est ainsi de comprendre les «motivations revendiquées par les alpinistes, et la manière dont celles-ci se sont ancrées dans le contexte de chaque époque» (p. 19). Espaces de sociabilité, les clubs portent en eux et par leurs pratiques certaines représentations qui évoluent au cours du temps, dont le rythme est retracé avec précision.

Pour mener à bien ce projet ambitieux, l’auteur a organisé son ouvrage en deux parties. La première éclaire la naissance et le développement du club alpin genevois, et en analyse la composition. Au XIXe siècle, c’est en effet avant tout un lieu de rencontre pour l’élite économique et politique qui promeut un alpinisme «cultivé» (p. 130) se déclinant selon un programme patriotique et scientifique, voire d’utilitarisme social. Contrairement à l’Alpine Club (UK), le CAS ne cherche pas, à ses débuts et jusque dans les années 1950, à développer une «élite de grimpeurs» (p. 73): c’est un randonneur cultivé et contemplatif qui réfléchit aux «choses de l’Alpe» (p. 88). Pourtant, cette excellence culturelle est progressivement contestée par une excellence technique, objet de la seconde partie du livre. Le CAS intègre peu à peu une dimension plus sportive à ses activités au cours du XXe siècle, notamment en développant l’alpinisme hivernal (soit le ski, «première phase de démocratisation des activités de montagne» p. 103), mais aussi en s’initiant progressivement sur le flanc du Salève à la varappe, «discipline nouvelle de l’alpinisme» (p. 114). L’escalade des parois de la montagne favorise surtout l’apparition de nouveaux clubs qui recherchent, davantage que le CAS, la difficulté technique. L’Androsace, d’abord baptisée l’Ondine des Alpes, puis le GAO illustrent ces nouvelles manières de faire de la montagne. Difficiles d’accès, mais néanmoins emprunts d’une franche camaraderie, ces clubs se profilent rapidement comme des associations extrêmement réputées, que rappelle l’ascension de l’Everest en 1952 par des membres de l’Androsace. Composés de personnes au parcours professionnel plus simple que les fondateurs du CAS, voire par des ouvriers (ce que traduit la formation d’un GAO tout d’abord ancré fortement à gauche), ces clubs participent par la suite au développement, dans les années 1970, d’un alpinisme «hédoniste» (p. 219), dont l’escalade libre (effectuée «sans moyens extérieurs et uniquement grâce aux prises offertes par le rocher» p. 230) représente l’aboutissement. S’affranchissant de l’alpinisme, l’escalade devient une discipline nouvelle qui évoluera peu à peu vers la compétition internationale. Corollaire de cette progressive technicité des petits clubs genevois, le CAS épouse, dès les années 1970, une forme beaucoup plus sportive dans sa manière de faire de la montagne.

Développant la thèse selon laquelle les «grimpeurs genevois» ont joué un rôle non négligeable dans la transformation progressive de l’alpinisme (p. 234), l’auteur offre au lecteur une étude riche et précise des clubs de Genève, qu’accompagne une septantaine de pages d’annexes bienvenues. Emaillé de nombreuses citations pertinentes ainsi que de plusieurs photographies, le texte se lit agréablement. Novateur et bien construit, l’ouvrage propose une histoire humaine de l’alpinisme, dont les témoignages rendent compte; l’auteur semble ainsi avoir eu des contacts enrichissants avec ses intervenants dont il relate les propos presque avec tendresse. Du reste, Élodie Le Comte restitue au lecteur la diversité et la complexité des acteurs sociaux qu’elle n’étouffe pas sous de lourdes catégories: les tensions et hétérogénéités traversant les clubs sont ainsi fréquemment soulignées. Si l’ouvrage apporte donc plusieurs nouveautés dans l’historiographie pauvre des clubs alpins, il n’en soulève pas moins quelques réserves. Sur la forme tout d’abord: le lecteur attentif pourra en effet être un peu déçu de l’appareil critique. La constitution des notes, dont on rappelle qu’elles structurent le travail de l’historien, est parfois hasardeuse et un manque de cohérence entre celles-ci est attesté à de nombreuses reprises. De même la bibliographie contient hélas quelques maladresses. Si le péritexte est donc un peu négligé, on trouve également des erreurs de datation dans le texte: parmi elles, l’Alpine Club a-t-il été fondé en 1854 (p. 12, n. 2) ou 1857 (p. 30)? On pourra à cet égard aussi noter que le tableau socioprofessionnel des membres du CAS de Genève, proposé pour l’année 1874 (p. 46), est en réalité celui … de 1923 (p. 104). Si ces erreurs, sans aucun doute d’inattention, sont des détails, elles occasionnent parfois une certaine gêne lors de la lecture. Sur le fond enfin, on pourrait regretter que le recours à des sources orales, parfois décriées par les historiens, ne s’accompagne pas d’une réflexion épistémologique qui serait pourtant la bienvenue dans ce travail se construisant indifféremment sur des témoignages écrits et oraux, dont la nature n’est a priori pas semblable. Relevons également que si cet ouvrage s’inscrit au sein de l’histoire culturelle et manie à cet effet les concepts idoines (celui de «pratiques» notamment), ses propos nuancent quelque peu une telle participation. Ainsi, comme Élodie Le Comte l’annonce elle-même, l’histoire de l’Androsace et du GAO est essentiellement «informative» (p. 119): c’est ainsi à des considérations proprement d’information (création du club, conditions d’admission, agenda des rencontres, modifications des techniques de grimpe etc.) que cette étude s’intéresse notamment.

Ces quelques critiques ne doivent pourtant pas occulter l’intérêt et la nouveauté de ce texte écrit par une spécialiste de l’histoire du CAS, «passionnée de montagne». Les lacunes exposées ici découlent d’ailleurs peut-être de la collection dans laquelle le livre est paru. Accueilli effectivement dans un espace éditorial «grand public», ce texte, fruit d’une recherche universitaire couronnée par le Prix Ador 2006, est avant tout adressé à un lectorat varié, éloigné des préoccupations épistémologiques des historiens.

Citation: Hélène Zumstein: compte rendu de: Élodie Le Comte: Citadins au sommet. L’alpinisme genevois (1865–1970): un siècle d’histoire culturelle et sportive. Genève, Slatkine, 2008, (Collection «Genève – Événements», 23). Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 2, 2009, p. 241-243.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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